Quand Elle découvre l'anorexie...
Bon, alors forcément, vous vous en doutez, va bien falloir que je parle un peu du Elle de cette semaine... Une fois n'est pas coutume n'est-ce pas ? Sauf que là, et bien voyez-vous, je ne l'ai pas acheté. Voilà, c'est la première fois depuis au moins cinq ans que je n'ai pas demandé à mon kiosquier adoré ma sucrerie du lundi, mon croissant hebdomadaire, ma gâterie de début de semaine. Mon Elle, quoi.
Je ne l'ai pas acheté parce que lundi matin, sur France-Inter, j'ai entendu que le dossier de ce numéro était consacré au drame de... tin tin tin, je vous le donne en mille: l'anorexie chez les actrices. Un titre du genre: "Les actrices ne cessent de maigrir. Enquête sur un phénomène inquiétant"
Je pousse un grand cri ? Je pousse un grand cri.
NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! Déconne !
Les actrices sont trop maigres ??? Et ce serait dangereux ? Même peut-être très maaal ? Un mauvais exemple pour les adolescentes qui pourraient être tentées de faire pareil pour ressembler à leurs idoles ? Ouh là là, berk berk berk l'anorexie, bah, pas toucher la maigreur, vilains les régimes dissociés, criminels ces gourous de la diététique. Très très graaaave... Pfeuh pfeuh pfeuh (là en fait il faut m'imaginer en train de faire semblant de cracher un truc dégueu)...
Alors là, vraiment, moi je dis, bravo. Bravo pour ce courage éditorial. Pour cette prise de risque maximale. Fallait oser. Même que parait-il qu'un photographe aurait le cran de dire que Nicole Kidman, avec ses 38 kilos, elle ne serait pas au top de la sexitude sur les photos. Ah, c'est vrai que la Nicole, elle manque un peu de... ben de tout, je crois. On a envie de lui acheter des joues. Le problème, c'est qu'il y a deux semaines, on la montrait encore en exemple dans ces mêmes pages pour son style, son allure, son choix de fringues, etc... Mais aujourd'hui, pouah pouah pouah, cache tes côtes Nicole, s'il te plait...
Enfin bref, ne faisons pas les mauvais esprits, "Elle" a levé un lièvre. La dictature de la maigreur aurait des effets néfastes sur toute une générations. Oui, je sais, ça fait un choc, c'est un truc qu'on ignorait. Un scoop pareil, ça laisse groggy un bon moment. Heureusement que parfois, il y a des journalistes qui tapent du poing sur la table.
Bon, je ne l'ai pas lu, hein, donc peut-être qu'il y a un mea culpa de la part de l'équipe du journal, pour toutes les fois où ces derniers temps des filles décharnées ont été brandies comme étendards de l'élégance et de la branchitude dès la deuxième page de l'hebdomadaire. Peut-être.
Mais je ne sais pas pourquoi, sans doute mon mauvais esprit, justement - rahhh, le coriace ! - j'en doute. Oh, des coupables, je leur fais confiance pour en trouver. La mode, sûrement, la publicité, ou l'industrie impitoyable du cinéma, le poids de la société, la météo, que sais-je...
Vous l'aurez compris, loin de trouver l'initiative bénéfique ou audacieuse, je la réprouve. Je la réprouve parce que montrer des corps osseux et maladifs c'est alimenter le voyeurisme et la curiosité malsaine des lectrices. Si "Elle" croit une seconde que regarder les articulations saillantes de Nicole Kidman va dégoûter les aspirantes à l'anorexie, elle se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'à sa maigre omoplate. Au contraire, ces dernières y verront l'apologie de leur idéal de beauté et s'empresseront de découper ces clichés morbides pour les coller sur la porte de leur frigo, histoire de se motiver dans leur diète. Tout le monde sait bien qu'il y a un plaisir malsain à contempler ces corps squelettiques
Personnellement, je trouve que le courage éditorial, voire l'originalité aurait plutôt consisté à vanter la beauté de vraies girondes. Avec, sur la couverture, dans les pages modes, dans les pages people, partout, des seins, des fesses, des petits ventres rebondis. On ne donnera pas envie de manger aux jeunes filles en leur faisant soit-disant peur. En revanche, bouleverser leurs repères en glorifiant les formes, les pleins et les déliés, alors là, peut-être.
Mais une fois de plus je rêve. Je crains que plutôt, la semaine prochaine, "Elle" ou un de ses confrères frappe encore un grand coup: pourquoi pas par exemple un article sur la cocaïne, cette drogue atroooooce, qui coupe l'appétit, fait maigrir et donne de l'énergie ? Avec, deux pages plus loin, une série de clichés de Kate Moss, qui n'a jamais été plus tendance depuis qu'elle s'est fait chopper en aspirant la poussière du studio de Pete Doherty... De quoi décourager les plus téméraires, hein ?