Dieu Birkenstock
Certaines filles se damnent pour des escarpins siglés hors de prix. D'autres pour des ballerines d'une marque chère à l'illustre Serge G. D'autres, encore, ne jurent que par les tongs. La ronde, quand à elle, se prosterne quotidiennement devant son dieu à elle, le sauveur des pieds qui gonflent, le médecin des peaux ampoulées, le kiné des doigts de pied: Môssieur Birkenstock.
Oui, j'en entends certain(e)s ricaner, je parle de ces chaussures pas féminines pour deux sous. C'est vrai, j'en conviens, avec ces tatanes au pied, on tient avant tout de la néo-baba scout s'apprêtant à entrer au couvent. Mais je vous arrête tout de suite: mes pieds, la ronde et moi, on se fiche de vos sarcasmes.
Cette année, nous avions donc, mes pieds la ronde et moi - qui ne font sur ce coup là qu'une seule et même personne - décidé d'entrer dans le droit chemin de la féminitude. Nous nous êtions pour cela équipés d'une paire de ballerines compensées agrémentées d'une fleur en cuir sur le côté. Du plus bel effet. Ainsi chaussées, nous nous sommes rendus à un déjeuner de travail. Dans le bus, déjà, la chaleur aidant, les pieds de la ronde - et donc les miens - ont gonflé. L'inconfort qui en a résulté était toutefois supportable, même si la bride élastique qui soulignait avantageusement le coup de mes pieds a semblé s'incruster dans la chair, provoquant de part et d'autre un gonflement encore plus fort. Plus le temps passait, plus le lancement lancinant de la circulation entravée devenait intolérable. Durant les cent mètres menant de l'arrêt de bus au restaurant, le cuir s'est ensuite fait cisaille, blessant le haut des talons jusqu'au sang, intensifiant sa morsure à chaque pas.
Après un déjeuner déchaussée - vive les longues nappes - il fallut remettre les instruments de torture et réveiller la douleur endormie. Serrant les dents, la ronde, mes pieds et moi sommes partis le plus dignement possible, retenant nos larmes. Boitillant tant bien que mal, nous rêvions de pansements, de bains de pied, d'onguents réparateurs. Et puis, quelques mètres plus loin, le miracle. Une boutique avec, en vitrine, les fameuses, les merveilleuses, les fabuleuses... birkenstock.
On s'est rués, la ronde mes pieds et moi. On a à peine choisi le modèle - en l'occurence noir laqué, pas si moche - et on a un peu perdu le contrôle, embrassant à pleine bouche un vendeur médusé.
Le reste de la journée s'est passé à jouir de ne plus souffrir.