Noix de cajou
"A l'apéro, ce soir, je ne mangerai rien. Ou quelques tomates cerises. C'est tout. Pas de noix de cajou". Tu parles...
La résolution se perd dans le brouhaha de l'apéritif, des bruits de verre qui s'entrechoquent et des effets des premières gorgées de muscat.
Allez, une. c'est tout. ça croque, ça fond, libère un goût exquis, entre la noisette et la cacahouète. Garder le jus en bouche le plus longtemps possible puisque ce sera la seule, on se l'est juré. Partir à la recherche, avec sa langue, des petits morceaux cachés entre les dents. Les croquer eux aussi et constater que même ces minuscules éclats sont savoureux. Une fois la noix bel et bien terminée et la bouche entièrement rincée, lécher les doigts de sel imprégnés.
Boire un peu de muscat pour faire diversion, humer la fumée des cigarettes proscrites. Se lever, chercher quelque chose, on ne sait plus quoi d'ailleurs, dans la cuisine. Se rasseoir, tenter de saisir au vol une conversation susceptible de capter son attention. Oublier le petit bol qui fait de l'oeil. Dire "non non non" quand une bonne âme le fait circuler.
Sentir l'ennui gagner, l'envie plus forte seconde après seconde, quelque chose dans sa bouche, c'est ça qu'on veut. De la jouissance rapide, un petit fix de cajou, par exemple. Penser non et finalement dire oui, voir sa main plonger malgré soi dans le bol, en ressortir avec non plus un mais trois ou quatre petits cailloux salés. Sentir les effets immédiats dès la mastication. Savoir que le venin est en soi et que le bol y passera. Mettre la culpabilité dans un coin de sa tête jusqu'à la fin de la soirée. Se jurer que puisque c'est ça, on fera l'impasse sur le repas. Se jeter à nouveau sur les noix de cajou, forte de cette promesse qu'on ne tiendra pas.
Boire un peu plus de muscat pour faire passer tout ça.